Révolution Génétique : L'Arrivée des Chats Domestiques en Europe Retardée de Millénaires

Une étude génétique d'envergure vient bouleverser les chronologies établies concernant l'implantation des chats domestiques sur le continent européen. Les chercheurs, nommés Ottoni et De Martino, ont dévoilé dans la prestigieuse revue Science des données qui situent l'ancrage définitif de ces félins en Europe il y a environ 2000 ans. Cette estimation repousse l'échéance de plusieurs milliers d'années par rapport aux hypothèses antérieures. Ce nouveau calendrier déplace ainsi le projecteur des premières vagues migratoires néolithiques vers des périodes historiques plus tardives, intrinsèquement liées à l'essor du commerce méditerranéen.

Jusqu'à présent, la théorie prédominante suggérait que les chats avaient suivi les premiers agriculteurs venus d'Anatolie, il y a 6000 à 7000 ans. Cependant, l'analyse approfondie des génomes nucléaires complets a infirmé ce modèle. Des experts, dont le professeur d'archéologie Greger Larson de l'Université d'Oxford, soulignent que les conclusions précédentes reposaient souvent sur l'étude de l'ADN mitochondrial. Cet ADN, transmis uniquement par la lignée maternelle, pouvait induire des imprécisions quant à la véritable carte de dispersion. Les preuves génétiques actuelles pointent de manière irréfutable vers une origine nord-africaine pour les ancêtres des chats domestiques modernes, contredisant les anciennes théories qui privilégiaient le Levant.

Afin d'établir cette nouvelle chronologie, les scientifiques ont examiné 225 spécimens de restes félins provenant de 97 sites archéologiques répartis à travers l'Europe et le Proche-Orient. Ils ont également séquencé 70 génomes anciens pour les comparer avec l'ADN des populations contemporaines. Il s'avère que les plus anciens génomes correspondant aux chats domestiques actuels apparaissent en Europe durant l'apogée de l'Empire romain, coïncidant avec une intensification spectaculaire du commerce maritime. Ceci suggère fortement que les marins et négociants romains, transportant par exemple des céréales égyptiennes, ont joué un rôle clé dans la dissémination de ces animaux dans les ports du continent, les utilisant comme régulateurs de nuisibles à bord des navires et dans les entrepôts.

La difficulté à déterminer le statut des chats anciens résidait dans le fait que les squelettes des spécimens sauvages et domestiques du genre Felis sont morphologiquement presque indiscernables. Les découvertes plus anciennes, précédemment attribuées aux chats domestiques – à l'image d'un squelette chypriote datant d'environ 9 500 ans – sont désormais probablement rattachées au chat sylvestre (Felis silvestris). Ce dernier s'était hybridé avec le chat ganté d'Afrique (F. lybica lybica). L'analyse a révélé que les chats sauvages du Néolithique d'Asie Mineure présentaient jusqu'à 24 à 34 % de patrimoine génétique issu de F. catus ou de ses proches ancêtres, témoignant d'un métissage antérieur à l'introduction massive des individus domestiqués.

La véritable vague d'expansion des gènes caractéristiques des chats modernes ne se manifeste dans les échantillons européens qu'à partir du Ier siècle de notre ère. Le processus d'apprivoisement aurait débuté en Afrique du Nord, phénomène parfois qualifié de « miracle égyptien », où une mutation comportementale décisive s'est produite il y a environ 3 500 à 4 000 ans. Contrairement aux chevaux, la sélection chez le chat a longtemps ciblé presque exclusivement des traits comportementaux. L'équipe de recherche, menée par Claudio Ottoni dans le cadre du projet Felix, prévoit de poursuivre ses investigations en se concentrant sur les territoires de l'Italie, de la Grèce et de la Turquie, afin de cartographier plus finement ces itinéraires de migration ancestraux.